Réforme fiscale et courage politique

Jan Tuerlinckx

Il y a quelques semaines, la presse annonçait que la réforme de l’impôt des sociétés n’entrerait plus en vigueur en 2017. Pour que les choses soient claires, ce devrait être pour 2018. Les impôts sur cette année seront toutefois payés un an plus tard. Concrètement, nous parlons déjà de 2019. Bref, la montagne accouche d’une souris. On peut aussi bien dire qu’il aura fallu presque une législature entière pour voter quelques lois. Une législature au cours de laquelle le système politique ne sera pas parvenu à mener rapidement et efficacement une réduction de l’impôt des sociétés tellement cruciale à notre économie. Il suffit de demander aux entreprises ce qu’elles en pensent. La réponse sera partout la même : cette réduction est aussi nécessaire que l’eau et le pain si la Belgique souhaite ne pas rester à la traîne dans la course économique globalisée. 

Il semble donc que du point de vue politique, mener des réformes fiscales est loin d’être une sinécure. Même quand il s’agit de changements pour lesquels il convient d’agir rapidement. Cela suscite évidemment des questions. Car soyons réalistes, la baisse de l’impôt des sociétés est une nécessité absolue, mais il ne s’agit pas du défi majeur auquel est confronté le législateur fiscal. Il existe en effet un vaste consensus selon lequel le Code des impôts sur le revenu et – par extension – tout notre système fiscal, est devenu au fil des ans un monstrueux labyrinthe légistique. 

Une réflexion approfondie sur notre fiscalité, dans laquelle il convient de répondre à cinq questions élémentaires, s’impose donc de toute urgence. Ces questions sont : (1) quelle est la justification de base que le système fiscal doit exprimer et comment est-elle transposée dans l’imposition concrète ; (2) comment la fiscalité peut-elle être simplifiée, afin qu’il soit possible de procéder simplement à la détermination, au contrôle et à la perception de l’impôt et – si possible – de combattre également la fraude ; (3) comment cette fiscalité doit-elle se situer par rapport aux besoins financiers de l’administration ; (4) comment la fiscalité doit-elle être modifiée pour être équitable tout en étant capable de défendre notre position concurrentielle dans le monde digitalisé et globalisé d’aujourd’hui ainsi que dans les futures évolutions ; (5) de quelle manière les paquets de compétences peuvent-ils être répartis plus clairement et fonctionnellement entre les régions et le niveau fédéral.            

Poser les questions est une chose, mais formuler des réponses en est une autre. Il se pose aussi inévitablement la question de savoir de quelle façon un consensus a un jour pu se former à ce sujet. Les finances publiques ne laissent pas une grande marge de réflexion – pourtant essentielle – à la classe politique actuelle. Le remembrement fiscal est au contraire un travail de longue haleine. Mais même une longue législature comme celle que nous connaissons aujourd’hui n’est manifestement pas assez longue. Et surtout, une réforme approfondie exige une large acceptation sociale. Cette acceptation doit pouvoir être soutenue en partant de différentes approches : juridique, sociale, économique, éthique et politique. Et tout aussi évident, le groupe de personnes parmi lesquelles cette acceptation doit être trouvée ne se limite pas aux politiciens, mais s’étend à toutes les parties concernées, c’est-à-dire à la société. Un exercice aussi complexe ne peut donc pas être réalisé à court terme.

L’histoire montre par ailleurs que de grandes réformes doivent être longuement et soigneusement préparées. Cela doit bien sûr se faire au-delà du clivage des partis. Il s’agit toutefois d’une condition nécessaire, mais pas suffisante. La préparation doit être faite par des  scientifiques, des experts du vécu et d’autres experts. Leur tâche ne consiste évidemment pas à faire des choix, mais à mettre à nu les options élémentaires qui, plus tard, pourront être utilisées comme les fondements d’une réforme.

Ce faisant, la question se pose de savoir à quoi nous devons encore nous attendre. Si l’ambition est de mettre en branle une grande réforme fiscale, cela peut se faire de manière très simple. Aucune législature n’est à cet effet trop courte ou trop avancée. Il suffit de composer une commission d’experts et de la charger de chercher un plan de base et un plan d’attaque. Je dirais même presque que cela ne nécessite que quelques minutes de courage politique. Mais l’histoire récente nous a montré qu’un tel moment de courage politique peut se faire attendre très longtemps. Si attendre le courage n’est pas toujours une erreur, cela l’est en tout cas dans cette situation. La balle est donc dans le camp du politique, mais elle l’était en fait depuis toujours.

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