Column J. Tuerlinckx dans Trends: pacification fiscale (02/04/2024)

Jan Tuerlinckx

Il y a exactement 25 ans, la « nouvelle » loi sur le règlement des différends fiscaux était adoptée avec les lois des 15 et 27 mars 1999. Cette réforme radicale mettait un terme définitif à la fonction juridictionnelle de la phase de réclamation. Les tribunaux fiscaux ont vu le jour au niveau des tribunaux de première instance. Cette loi a mis fin à la position incontestablement contradictoire du directeur régional. Ce dernier était lié par les principes généraux de la bonne justice d’une part et hiérarchiquement subordonné à l’administration centrale du SPF Finances d’autre part. Les lois faisaient alors une tentative plus qu’honorable de préserver les principes de base de l’État de droit et les principes y afférents de la bonne administration de la justice.

 

Un quart de siècle plus tard, retour à la case départ. En 2024, la procédure n’est plus en mesure de garantir les droits et libertés fondamentaux du contribuable. Manque de personnel au SPF Finances, indicateurs de performance imposés aux fonctionnaires du fisc, évolutions sociologiques propres à notre société, arriéré judiciaire, pénurie de juges fiscaux, réglementation complexe, énorme quantité de données composant aujourd’hui le dossier fiscal... Ce ne sont là que quelques obstacles qui conduisent à cette conclusion largement partagée. Il est grand temps de se remettre à l’ouvrage en matière de législation.

 

Cela suscite a priori peu d’enthousiasme, mais les apparences sont trompeuses. Deux accords de gouvernement ont déjà pour objectif de « rétablir la confiance entre le citoyen et l’administration fiscale », ce que l’on appelle aussi la « taxification ». Une nouvelle charte fiscale devrait former un code de conduite pour les fonctionnaires du fisc et les contribuables. Mais cette charte n’existe pas encore et, dans la pratique, elle évolue dans le mauvais sens. Les tensions entre le contribuable et l’administration fiscale s’intensifient. L’administration fiscale fait du travail répétitif, tandis que le contribuable, de plus en plus attaché à l’indépendance et à la justice, a besoin de se faire entendre. L’absence d’analyse objective de la situation spécifique dans laquelle se trouve le contribuable attise la polarisation et l’escalade du différend fiscal.

 

Outre les modifications à apporter à la procédure judiciaire actuelle pour en accroître l’efficacité et l’équité (litiges de prétaxation comme en référé, questions préjudicielles à la Cour de cassation, intervention d’experts judiciaires...), un changement de mentalité s’impose en matière de collaboration. Il implique de travailler sur la volonté de parvenir effectivement à un compromis. En sensibilisant davantage l’administration fiscale, les modèles de collaboration existants, comme la médiation fiscale et la médiation judiciaire, pourraient être utilisés plus efficacement, ce qui contribuerait aussi à résorber l’arriéré judiciaire.

 

La médiation fiscale telle qu’elle existe aujourd’hui en Belgique soulève encore des questions à bien des égards. Dans notre pays, le service de médiation fiscale est et reste un service du SPF Finances. Souvent, les fonctionnaires du fisc ne parviennent pas à atteindre leurs collègues qui évaluent le fond du dossier. Sur le plan conceptuel, cette médiation fiscale ne répond pas à la définition de droit commun d’une médiation telle que décrite dans le Code judiciaire et acceptée au niveau international : confidentielle, structurée et surtout un tiers indépendant, neutre et impartial. Dans la médiation fiscale, les parties ne sont pas assistées par un service du SPF Finances.

 

« La justice ne doit pas seulement être rendue, elle doit aussi être perçue comme telle », énonce la Cour européenne des droits de l’homme. Une victoire rapide en matière de procédure, qui profiterait à toutes les parties concernées, consisterait à ne pas autoriser uniquement les fonctionnaires du fisc à participer à la médiation. La médiation devrait devenir un système paritaire, avec une représentation à la fois de l’administration et du citoyen. En tant que représentant du contribuable, la société civile fiscale, c’est-à-dire les spécialistes du chiffre, pourrait intervenir. À condition toutefois que nous œuvrions à une formation efficace et à la mise en place d’un cadre plus clair. En quelque sorte un institut de médiation fiscale qui délivrerait un agrément. Ce ne serait somme toute qu’un petit pas à franchir. Car sous quelle aile serait-ce différent de celle de l’ITAA ?

 

Les membres du service de médiation étant désignés par le SPF Finances, le médiateur fiscal, en sa qualité de fonctionnaire fiscal, est tenu au devoir d’obéissance hiérarchique. Il ne peut donc que suivre les positions administratives ou la jurisprudence positive. L’administration est à la fois médiatrice et partie, malgré les dispositions formelles selon lesquelles le médiateur doit être indépendant et ne peut recevoir d’instructions de l’administration fiscale. Une certaine collégialité sera toujours présente et, comme indiqué précédemment, l’exigence objective d’indépendance et d’impartialité importe, mais tout semblant de partialité doit être dissipé. « La justice ne doit pas seulement être rendue, elle doit aussi être perçue comme telle. » 

 

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