Les cryptomonnaies et le fisc

Jan Tuerlinckx

Depuis quelques semaines, les cryptomonnaies et les monnaies virtuelles font l’objet d’un intérêt public quasi permanent. En cause ?

Les niveaux particulièrement élevés qu’elles atteignent. À tel point même que, souvent, ceux qui possèdent ces monnaies craignent de découvrir ce que vaut leur « wallet » de cryptomonnaie en euros. Les investisseurs pensent aux bénéfices ainsi qu’à la prise de bénéfices. Et comme « bénéfices et prise de bénéfices » et « impôts » sont deux faces d’une même pièce, ce sont aussi deux faces du Bitcoin. La question se pose alors de savoir si des taxes doivent être payées sur ces bénéfices.

En termes de taxe sur les cryptomonnaies et la monnaie virtuelle, force est de constater avant toute autre chose que la Belgique n’a pas de réglementation fiscale formelle sur ces monnaies. Mais il ne faut pas en déduire pour autant que le traitement fiscal serait plus difficile, compliqué ou incertain que pour d’autres produits d’investissement. Sachez également qu’il n’existe pas de législation fiscale formelle sur les revenus issus par exemple du dollar américain ou de la livre anglaise. Or, les placements dans ces devises sont loin d’être considérés comme des curiosités fiscales. Et si tel est le cas, pourquoi en serait-il différemment avec le Bitcoin ? Suite à une décision de la Cour de justice de l’Union européenne de 2015, la Belgique accepte que le Bitcoin ait un cours légal. De ce fait, le commerce en devises numériques est exempté de TVA.

La question ici est de savoir si les plus-values ou les bénéfices sur les cryptomonnaies sont ou non imposables. Et la réponse est la suivante : les bénéfices sur les cryptomonnaies sont imposables de la même façon que le sont d’autres placements effectués par des personnes physiques. Les cryptomonnaies doivent être considérées comme des valeurs de portefeuille dans lesquelles il est possible d’investir. Dans le cadre de la gestion normale du patrimoine privé, les bénéfices sont exonérés d’impôts. Il est à noter que la gestion normale du patrimoine privé peut se faire en vue de le faire fructifier, de le monétiser et de le réinvestir. Ou comme Henri de Page, probablement l’auteur le plus influent de notre pays, définissait l’acte de gestion du patrimoine privé d’un bon père de famille par Tout acte quelconque, fut-il de disposition, qui a pour but de faire fructifier et augmenter son patrimoine. Si l’on investit dans des cryptomonnaies comme on aurait pu le faire dans d’autres devises, aucun problème ne se posera. Et ce n’est pas parce que les investissements atteignent des niveaux élevés de manière prévisible ou totalement imprévisible qu’on ne parle plus de gestion normale.

Les profits issus des cryptomonnaies sont toujours imposés comme des revenus divers

Pour sortir des limites de cette gestion normale, il doit s’agir de choses sérieuses. Investir avec de l’argent emprunté ou utiliser des ressources professionnelles ou semi-professionnelles peuvent être des signes. Un cas de ce genre a récemment été soumis au Service des Décisions Anticipées. Le cas concernait un étudiant qui, dans le cadre de ses études, avait développé une application d’achat et de vente automatiques de Bitcoins. Ces opérations d’achat et de vente automatiques lui avaient rapporté des bénéfices. Dans ce cas spécifique, le Service des Décisions Anticipées a jugé que les profits devaient être imposés comme revenus divers au taux de 33 %. Il serait ipso facto erroné d’en déduire que les profits issus des cryptomonnaies sont toujours imposés comme des revenus divers. Le motif de la taxation comme revenus divers n’est d’ailleurs pas dicté par le fait qu’il s’agissait d’une plus-value sur des Bitcoins, mais bien par la manière très spécifique dont les plus-values avaient été réalisées. Si l’étudiant en question avait développé la même méthodologie pour des valeurs cotées en bourse, le résultat de la décision anticipée aurait été identique. Évitons donc de généraliser. Le traitement fiscal des cryptomonnaies est identique à celui des valeurs de portefeuille. Cette taxation n’a donc rien de cryptique.

À défaut d’être cryptique, l’attitude du banquier peut être sceptique. Il me semblait opportun de l’ajouter ici en note finale. Les banquiers peuvent voir d’importantes sommes d’argent apparaître sur le compte des investisseurs suite à la conversion des cryptomonnaies. Sachez que, dans le cadre de la prévention du blanchiment, chaque fois qu’un patrimoine apparaît, est réalisé ou converti en monnaie scripturale, les banquiers doivent demander comment ce patrimoine a été acquis ou constitué. La légitimation doit être transparente et documentée. La documentation des investissements dans le monde numérique est donc essentielle, car les banquiers n’ont aucune vue sur leur contexte et leur réalisation. En fin de compte, les cryptomonnaies sont conçues pour pouvoir neutraliser le système financier existant. Sachez donc qu’en revenant à ce système traditionnel, vous devez pouvoir prouver l’origine de vos bénéfices.

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