Dette fiscale, ammende fiscale

Jan Tuerlinckx

J’espère – et vous en conviendrez sans doute avec moi – que tout cela relève pour vous de l’évidence. Car ces principes appartiennent à l’essence de l’État de droit et aux droits individuels fondamentaux. Mais se pose alors la question de savoir pourquoi une telle évidence figure en préambule d’une carte blanche. L’honteuse réponse est que ces principes essentiels ne valent malheureusement pas dans le domaine de la fiscalité.

Voyons d’abord comment naît une amende fiscale. Si – là encore en toute hypothèse, bien sûr – vous faites une déclaration d’impôt incorrecte, vous serez confronté à deux réclamations du fisc. D’un, vous devrez évidemment régler l’impôt indûment impayé. De deux, vous serez également sanctionné d’une amende. Et ces amendes sont tout sauf légères. Les amendes et les accroissements fiscaux proportionnels vont de 10 à 200 pour cent.

Le clou de l’histoire, c’est que ces amendes constituent une peine au sens du droit pénal. Qu’il s’agisse de la Cour européenne des droits de l’Homme, de la Cour de justice, de notre Cour constitutionnelle nationale ou de la Cour de cassation, toutes sont parfaitement d’accord. Conséquence ? Le contribuable sanctionné d’une amende par l’administration fiscale doit pouvoir compter sur une protection juridique fondamentale.

Or, comparé à notre contrevenant routier, le contribuable est bien mal en point. En effet, l’amende infligée passe directement dans l’avertissement-extrait de rôle, comprenant l’impôt réclamé, qui lui est envoyé. Ne sous-estimons pas la force juridique de cet avertissement-extrait de rôle. Il a la force d’un jugement. Un jugement immédiatement exécutoire. Le fisc peut donc procéder sans délai au prélèvement de l’impôt réclamé. Mais aussi, dans la foulée, de l’amende y afférente. Il revient ensuite au contribuable de porter l’affaire devant le tribunal. La présomption d’innocence, telle qu’elle devrait valoir d’un point de vue pénal, n’a donc plus cours. Le contribuable fait déjà l’objet d’une condamnation pénale. Il a été condamné non pas par un juge, mais par un organe administratif du gouvernement. Le fisc.

Le problème, c’est que le gouvernement dispense une solide formation aux agents de l’administration fiscale. Mais une formation à l’application de la loi fiscale, non de la loi pénale. Dans ce cas, pourtant, les agents du SPF Finances sont supposés appliquer les principes de droit pénal. Il leur appartient, par exemple, d’apporter la preuve du « dol » au sens pénal du terme. Mais souvent, cela leur échappe complètement.

Ajoutez-y un climat politique centré – à juste titre – sur la lutte contre la fraude fiscale, et vous obtenez un grand nombre d’entreprises et d’entrepreneurs sanctionnés trop lourdement. Et qui, en plus, voient leurs droits fondamentaux à la défense bafoués. Posez la question à n’importe quel praticien du droit : aujourd’hui, les amendes constituent l’un des points les plus épineux en matière fiscale.

Critiquer est une chose, proposer une solution en est une autre. Car il va de soi que les impôts doivent être prélevés, et de manière efficace. De même, il doit être possible d’infliger des amendes. Mais alors dans le respect des droits du contribuable. Dans ce cas, la solution tombe plutôt sous le sens, non ? Laissez l’administration fiscale procéder au prélèvement de l’impôt réclamé. À cet effet, le fisc peut immédiatement créer son propre titre avec l’avertissement-extrait de rôle. Concernant l’amende, il peut adresser une proposition au contribuable. Les deux parties auront sûrement l’occasion de négocier. Mais si elles ne parviennent pas à un accord, l’amende sera infligée par le juge dans un jugement.

Si vous estimez ce scénario impossible, je vous renvoie au préambule de cette carte blanche et à l’exemple hyper pratique de l’excès de vitesse. Car c’est la même procédure, après tout !

L'auteur, Jan Tuerlinckx, est partenaire chez Tuerlinckx Tax Lawyers.

jan.tuerlinckx@tuerlinckx.eu

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