La Justice passe parfois par la grâce fiscale

Jan Tuerlinckx

Nous avons récemment appris que le ministre des Finances Johan Van Overtveldt a usé de son «droit de grâce» dans 301 dossiers de pénalités et de majorations fiscales en 2015. Ce qui apparaît comme un nombre record ne semble toutefois pas le réjouir, à tel point qu’il souhaite transférer cette compétence, prérogative ministérielle depuis 1831, au service de conciliation fiscale. Bien que le ministre se fasse assister par l’administration fiscale lorsqu’il exerce son droit de grâce, il conviendrait cependant que cette compétence reste dans ses attributions. Qui mieux que lui peut, en effet, trancher individuellement et avec plus d’empathie?

Le point essentiel à envisager est que le droit de grâce fiscal subsiste et qu’il soit appliqué avec diligence là où il s’avère nécessaire. Dans un pays comme la Belgique, où les législations régionales et fédérales en matière fiscale foisonnent, où les lois correctrices sont la règle plutôt que l’exception et où remplir sa déclaration est plus périlleux que résoudre un sudoku à cinq étoiles, le cadre législatif complexe, souvent obscurci par le recours à un jargon compliqué, ne facilite assurément pas la tâche du contribuable.

Situation intolérable

Ajoutons-y le fait qu’une erreur, même commise de bonne foi, entraîne rapidement la criminalisation du contribuable (des majorations de 50% ne sont pas rares) et l’on comprend mieux l’impression qu’a le contribuable d’évoluer dans une zone de non-justice. L’administration fiscale a, en effet, un pouvoir d’appréciation assez large pour imposer les pénalités et majorations fiscales, ce qui suscite, à juste titre, des critiques quant au traitement arbitraire (pour ne pas dire injuste) des contribuables… Une situation intolérable dans un État de droit.

La faute n’est pas à l’administration, mais plutôt au cadre législatif trop peu nuancé. La règle, en Belgique, est simplement que la «différence entre l’optimisation et la fraude fiscale se mesure à l’épaisseur du mur de prison». En d’autres termes, la législation ne prévoit pas de gradation dans les fautes et beaucoup dépend donc de l’interprétation personnelle qu’en a le fonctionnaire qui les traite. Il serait plus opportun qu’un système progressif de sanctions soit mis en oeuvre.

À cet égard, l’administration fiscale britannique peut faire figure d’exemple. Celle-ci fait non seulement la distinction entre l’évasion et la fraude fiscale, mais applique aussi six catégories: le non-paiement (à la suite de l’insolvabilité), la criminalité organisée (carrousels), l’économie noire, les interprétations juridiques, les fautes et imprécisions dans la déclaration.

Une telle segmentation approfondie permet de s’attaquer plus efficacement aux comportements déviants. Une telle approche sera également perçue comme plus juste aux yeux du contribuable lorsque l’administration fiscale procédera à une évaluation correcte de ses intentions. Un contribuable qui a mal interprété la loi se montrera, par exemple, plus enclin à accepter une rectification majorée d’une légère pénalité s’il n’est pas d’emblée stigmatisé comme fraudeur.

En Belgique, où les législations régionales et fédérales en matière fiscale foisonnent, où les lois correctrices sont la règle plutôt que l’exception, remplir sa déclaration est plus périlleux que résoudre un sudoku à cinq étoiles.

Toute personne qui se voit imposer une majoration d’impôt de 50% ou plus est, en outre, également redevable d’intérêts de retard rétroactifs. Sur une base annuelle, ces intérêts peuvent varier de 7% (impôts directs) à 9,6% (TVA). Même s’il est possible de faire appel au ministre pour effacer les intérêts, la pratique nous enseigne que le contribuable conteste généralement l’ensemble de la taxation, ce qui est peu efficace tant pour l’administration que pour le contribuable.

Comme le ministre l’a déjà déclaré, le droit de grâce ne peut être invoqué que par les personnes pouvant faire état de motifs humanitaires ou sociaux. La grâce est essentiellement prévue pour les contribuables qui font face à une situation financière difficile, imputable à des raisons indépendantes de leur volonté. Si le ministre était interrogé sur les 301 dossiers concrets, il apparaîtrait qu’il est rarement tenu compte, dans ces cas, de l’intention qu’avait le contribuable au moment où il a posé l’acte litigieux. La sanction d’un comportement non intentionnel rate, néanmoins, complètement son objectif. Le contribuable est, en effet, parfois puni pour une faute professionnelle grave de son comptable.

L’importance de la grâce fiscale, qu’elle soit accordée par le ministre lui-même ou pas, ne peut donc être sous-estimée tant que le cadre législatif ne proposera pas un canevas progressif alternatif et que le pouvoir de sanctionner restera entre les mains de l’administration fiscale. Il s’agit parfois, pour le contribuable, de la seule manière d’obtenir justice. La grâce n’est-elle pas, en effet, le triomphe de l’empathie sur la lettre de la loi?

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