Column Jan Tuerlinckx dans Trends: Le superlatif du négationnisme légistique - (08/02/2024)

Jan Tuerlinckx

Le superlatif du négationnisme légistique

La didactique exige qu’avant d’aborder un superlatif, la forme de base soit précisée. Mieux vaut commencer par le concept de « négationnisme juridique », qui figure dans peu de dictionnaires. Le « négationnisme », qui y figure, désigne la négation ou la minimisation extrême d’événements historiques généralement acceptés. Le terme « légistique » renvoie à l’art de rédiger des textes de loi. En d’autres termes, les règles à observer lors de l’élaboration de lois. La combinaison des deux termes signifie que le législateur ignore tout simplement des principes évidents.

Il était une fois un contribuable qui, aux yeux de la loi, a répondu à l’administration fiscale avec deux jours de retard. Animé par son sens de la justice, ce preux chevalier de l’ordre de protection du contribuable s’est adressé à la Cour constitutionnelle pour faire valoir que le délai applicable, qui lui avait été notifié par courrier, ne pouvait commencer à courir à la date d’envoi, mais bien au moment où il trouvait la lettre dans sa boîte aux lettres. Un raisonnement clair, donc. Et justifié, a estimé la Cour constitutionnelle. Cela fait d’ailleurs désormais jurisprudence. Chaque fois que la loi prévoit une notification par voie postale, le délai doit être considéré comme prenant cours le troisième jour ouvrable suivant l’envoi. Lorsque le législateur se fait taper sur les doigts, la loi est modifiée. Mais les lois fiscales sont truffées de tels délais. On pourrait s’attendre à ce que le législateur prenne l’initiative d’insérer systématiquement cet acquis désormais historique dans la législation. Mais pour une raison incompréhensible, il ne le fait pas.

 

Ce n’est que lorsqu’un contribuable se heurte à une telle disposition et qu’il a l’audace d’entreprendre un long et solitaire périple jusqu’à la Cour constitutionnelle, que la disposition – ut singuli – est modifiée. Du négationnisme légistique.

Ceux qui pensent que c’est le pire reproche démocratique qui puisse être fait se fourvoient. Il y a pire encore. Là où, en cas de « négationnisme », c’est le pouvoir législatif qui n’agit pas avec diligence et conformément aux principes de bonne gouvernance, le superlatif couvre le mépris délibéré de la jurisprudence établie et des principes sacrés de la part du pouvoir exécutif. Ce serait porter atteinte à la vérité que de dire que les exemples sont légion. Pourtant, cela ne change pas grand-chose. Prenons la saga des pensions néerlandaises, où la Cour de cassation s’est prononcée à plusieurs reprises contre l’administration fiscale. Et pourtant, l’administration ne veut pas céder. Cela va même si loin qu’un contribuable qui a obtenu gain de cause l’année précédente fait à nouveau l’objet d’une imposition erronée l’année suivante. Une erreur de l’administration ? Cela peut arriver… Mais même après que le contribuable a clairement informé l’administration de la décision judiciaire de l’année précédente, le fisc refuse de modifier sa position manifestement erronée. En matière de précompte mobilier sur les dividendes français, les fameux dossiers QFIE, l’administration fiscale a clairement mordu la poussière face à la Cour de cassation. Pourtant, elle ne se résigne pas à cette décision claire, définitive et non sujette à interprétation. Dans le cadre d’une procédure fiscale, la Cour constitutionnelle a estimé que le classement sans suite d’une plainte pénale devait être assimilé à la fin de la procédure pénale et marquer le point de départ de la prescription. L’administration refuse d’appliquer ce principe.

Dans chacun de ces cas, les fonctionnaires d’exécution ont généré la demande de manière extraordinaire, mais ils ont les mains liées par la position de l’administration ou par son incapacité à la clarifier. Ce reproche ne vise donc pas le fonctionnaire en tant que tel, mais bien le système, l’administration.

Ce superlatif est également défini juridiquement. Il s’agit de la concussion, c’est-à-dire l’imposition ou la perception délibérée d’une taxe ou d’un impôt manifestement erroné. L’article 234 du code pénal le la sanctionne d’ailleurs explicitement. Il s’agit en fait d’un abus de pouvoir. On se gardera bien de prononcer trop vite des notions de droit pénal ou des reproches, mais une plainte contre x tomberait parfois à point nommé. Et curieusement, de nombreux fonctionnaires du fisc bien intentionnés s’en réjouiraient.

 

L'AUTEUR EST AVOCAT-ASSOCIE CHEZ TUERLINCKX AVOCATS FISCALISTES

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