Column Jan Tuerlinckx dans Trends : QUAND LE VENT DE LA JUSTICE TOURNE (28/09/2023)

Jan Tuerlinckx
Jan Tuerlinckx est avocat-associé chez Tuerlinckx 

Il était une fois un entrepreneur. Ceci n’est pas le début d’un conte, mais celui de ma carrière il y a trente ans. Cet entrepreneur avait été victime d’un vol important de la part d’un de ses employés, mais il ne se laissa pas abattre. Il mit en place un système de contrôle ingénieux pour attraper le voleur et prouver le vol. Notre entrepreneur ne se lança pas à la légère : non, il invita un huissier pour constater la véracité de son enquête et la confirmer de manière formelle. Sa stratégie porta ses fruits. Il rassembla des preuves du vol et l’employé passa aux aveux devant un huissier. C’est donc avec un dossier quasi complet et finalisé que l’entrepreneur saisit le parquet. Tous ceux qui avaient eu l’occasion de consulter le dossier étaient d’accord : c’était plié d’avance. Pourtant, la procédure ne se déroula pas comme prévu. L’employé fut acquitté, au pénal comme au civil.

Les parquets ne veulent plus que le justiciable leur force la main.

Aussi surpris que curieux, je demandai à mon mentor de l’époque, Victor Dauginet, ce qu’il fallait en penser. Avec la sagesse qui le caractérisait, il m’expliqua que l’entrepreneur avait franchi une ligne rouge. Dans les cas graves, il revient à l’autorité publique d’exercer le pouvoir. C’est elle qui mène l’enquête et rassemble les preuves, pas le citoyen. C’est une loi tacite. Ainsi, le système s’était retourné contre l’entrepreneur, et non contre le voleur. Cette leçon m’a fourni des repères clairs, qui m’ont été utiles dans la suite de ma carrière.
 

Mais alors, qu’aurait dû faire l’entrepreneur ? Déposer plainte avec constitution de partie civile et laisser le parquet mener l’enquête, plutôt que d’enquêter de sa propre initiative. Sans doute notre entrepreneur a-t-il envisagé cette option, mais l’a-t-il abandonnée en estimant qu’elle serait au moins inefficace et, dans tous les cas, trop lente.

 

En cette rentrée judiciaire, les parquets et les mercuriales plaident eux-mêmes pour la suppression de la plainte avec constitution de partie civile. Précisons qu’en déposant une telle plainte, le justiciable oblige le parquet à ouvrir une enquête pénale. Le citoyen peut donc, pour ainsi dire, forcer la main au parquet. Et cela, les parquets n’en veulent plus. Ils ne veulent plus que le justiciable leur force la main. Ce refus s’explique évidemment par la pression qui pèse sur la justice et par le manque criant de moyens et de ressources humaines.

 

Il est vrai que notre juridiction est l’une des rares où la plainte avec constitution de partie civile confère au justiciable un droit d’initiative actif au sein du droit pénal. Cela ne signifie pas qu’il soit démuni dans les autres juridictions. Dans les autres juridictions, le justiciable peut s’opposer en droit à l’écartement de sa plainte par le parquet. Par ailleurs, ces juridictions ont développé un dispositif que, par souci de simplicité, l’on pourrait qualifier de système à cheval entre le droit civil et pénal. Au sein de ce système, le justiciable a droit à une plus grande assertivité, voire parfois à une certaine agressivité, dans le rassemblement des preuves pour son affaire.

La suppression de la plainte avec constitution de partie civile devra s’accompagner d’une refonte globale du droit de la preuve et des moyens juridiques autorisés à ce titre. Il n’y a pas de remède miracle, même pour soulager une justice sous pression, car un allègement d’un côté du spectre provoquerait une surcharge de l’autre. On parie qu’on verra naître une pratique de quasi-perquisitions civiles, dont la justice devra également superviser ?

Si notre entrepreneur devait lire ce billet, il ne pourrait que déplorer la situation : son initiative, rejetée il y a trente ans, est désormais encouragée.

L’AUTEUR EST AVOCAT-ASSOCIÉ CHEZ TUERLINCKX TAX LAWYERS.

Jan Tuerlinckx@tuerlinckx.eu

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