Column Jan Tuerlinckx dans Trends: Législation versatile (13/07/2023)

Jan Tuerlinckx

Législation versatile

Difficile de faire plus lapidaire que le dernier paragraphe de la page 53 de l’accord du gouvernement Vivaldi : « Il sera mis fin à la possibilité de régularisation fiscale à partir du 31.12.2023. » À l’époque, en 2020, cette échéance paraissait bien lointaine. Mais elle se concrétisera dans un peu moins de six mois. La possibilité d’amnistie fiscale, moyennant le paiement d’une – juste quoique considérable – indulgence, disparaît.

Depuis 2004, la régularisation fiscale a fait l’objet de quatre réglementations différentes. C’est ce qu’on appelle une législation versatile. Mais pourquoi une énième, nouvelle mouture ? Dieu seul le sait. Certains diront : pour ôter aux fraudeurs la possibilité de se repentir et d’échapper ainsi à leur juste peine. Une justification plus populiste que fondée en théorie. D’ailleurs, plus d’un argument vient étayer cette conclusion. D’abord, les régularisations fiscales se caractérisent par d’importantes amendes et, parfois, par un champ d’application déraisonnablement vaste. Puis, supprimer une législation de régularisation ne contribue pas à l’application adéquate du droit fiscal. Si j’énonçais moi-même un argumentaire aussi péremptoire, vous ne me croiriez pas. Mais c’est l’OCDE qui formule cette conclusion.

Avec la suppression de cette régularisation, la balle est dans le camp des parquets. Or, par le passé, ceux-ci ont déjà insinué qu’ils ne se voyaient pas comme un guichet de l’administration fiscale. Par ailleurs, les parquets peinent à mener des enquêtes sur les patrimoines étrangers révélés par l’échange automatique de données au niveau international, et dont le fisc ne sait que faire. De nombreuses informations et réclamations seront donc renvoyées à l’expéditeur : le fisc. Ce qui résultera à nouveau en une prolifération de pratiques administratives.

Si tel était le cas, la régularisation fiscale ne serait plus une borne en libre-service pour les fraudeurs. C’est ce que révèlent aussi les montants et recettes déclarés de ladite régularisation. Mais cette dernière n’en devient pas pour autant inutile. La Cour des comptes avait déjà souligné l’utilité de la régularisation fiscale pour les contribuables ayant commis des erreurs involontaires. De plus, comme chacun sait, la législation et l’administration fiscale elle-même peinent malheureusement à suivre les évolutions rapides de notre temps. Prenons la fiscalité des cryptomonnaies, sur laquelle l’administration ne s’est prononcée que timidement alors que cette pratique était déjà bien ancrée. Dans un cas pareil, la régularisation s’avère non seulement pratique, mais nécessaire pour le contribuable qui peut, ainsi, se mettre en règle rétroactivement.

Autre point épineux de la suppression de la régularisation fiscale : le refus des banques d’accepter les capitaux fiscalement prescrits dont on ne peut prouver qu’ils aient été soumis au régime fiscal normal, et sur lesquels pèse un soupçon de blanchiment. Le délai ayant expiré, le fisc ne peut plus examiner et imposer ces capitaux selon le circuit régulier. En pratique, une attestation de régularisation s’avère souvent le seul ressort pour rapatrier les capitaux prescrits vers un organisme financier belge, et ce alors que les banques gèrent parfois ces avoirs depuis des années.

Que l’on soit d’accord avec la décision du gouvernement ou non, le fait est que, même après le 31 décembre 2023, on verra se multiplier les situations où l’une ou l’autre forme de régularisation fiscale viendra réoxygéner un système sous pression. Tout gouvernement qui se respecte doit permettre au contribuable de réparer ses erreurs, surtout dans un paysage fiscal aussi complexe que celui de la Belgique. Sans doute finira-t-on par adopter une nouvelle législation de régularisation. Mettons tout en œuvre pour en faire un ensemble plus nuancé et plus équilibré.

L’auteur est avocat-associé chez Tuerlinckx Tax Lawyers

JAN TUERLINCKX

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