Travailler pour des parts ? Une folie !

Jan Tuerlinckx

Le Code des sociétés et des associations (CSA) est entré en vigueur le mois dernier. L’une de ses dispositions phares est qu’un apport dans une société peut désormais aussi se composer de travail. Ou pour utiliser la terminologie de l’ancien code : le capital de la société peut désormais aussi être libéré totalement en travaillant pour la société. Le travail n’est pas rémunéré en numéraire, mais avec des parts de la société.

Cela ouvre la porte à des opportunités, ce dont il convient de se féliciter. Auparavant, il fallait surtout disposer de ressources financières pour devenir actionnaire. La participation dans l’actionnariat était donc essentiellement réservée aux plus nantis. Cela n’a cependant jamais été une condition suffisante pour réussir. Le talent, la créativité et l’engagement sont tout aussi nécessaires que l’argent. Une société est maintenant une fiction juridique. Les gens ont besoin de la faire fonctionner. Ou pour reprendre la boutade d’un collègue : « Je n’ai encore jamais vu quelqu’un aller au restaurant avec une société, mais je sais que beaucoup de sociétés paient l’addition. »

Les gens qui ne disposent pas de ressources financières pour souscrire des actions, mais qui débordent d’énergie, de créativité et d’ardeur peuvent donc devenir actionnaires en échange de leur travail. Cela crée un lien et de l’engagement, tout en stimulant l’entrepreneuriat. Bref, cela profite à l’économie.

 L’apport en travail dans une société risque d’être étouffé dans l’œuf. 

Le problème est que le fisc n’y croit pas. Par réflexe de peur, il a vite fait inscrire dans la loi que l’apport du travail ne peut jamais donner lieu à du capital fiscal. Et cela n’est pas sans conséquences. Les actionnaires qui effectuent un apport en numéraire récupèrent par la suite leur apport exonéré d’impôt. Cela ne s’applique pas à l’actionnaire qui a apporté son travail. Il paie 30 pour cent de précompte mobilier sur le remboursement de son apport (par exemple en cas de liquidation). Cela ne serait pas injuste si l’actionnaire ne devait pas payer l’impôt des personnes physiques sur les parts qu’il acquiert en échange de son travail. Mais la loi fiscale ne dit rien à ce sujet. Dans la logique de la loi fiscale, ces parts seront normalement soumises à l’impôt des personnes physiques. Qui atteint facilement 50 pour cent dans notre pays.

Cela engendre une situation pour le moins étrange. Pour que les personnes qui n’ont pas d’argent puissent quand même participer à l’actionnariat, le législateur a fait en sorte qu’elles puissent acquérir des parts en travaillant à cet effet. Mais elles doivent d’emblée verser 50 pour cent d’impôt dessus. Cela signifie qu’elles doivent avoir la moitié de leur apport à disposition pour payer des impôts. Sans oublier les 30 pour cent de précompte mobilier qui s’y ajoutent plus tard.

Si cette personne travaille d’abord comme indépendante ou salariée pour la société, elle paie aussi l’impôt des personnes physiques. Si, par la suite, elle apporte sa rémunération après impôt (donc nette) dans la société en échange de parts, elle a constitué un capital qu’elle récupèrera plus tard exonéré d’impôt. L’apport de travail risque donc d’être étouffé dans l’œuf.

Le problème est entre-temps connu et un régime fiscal moins défavorable sera probablement créé pour ces parts. Mais pour ce faire, nous avons besoin d’un gouvernement. Curieux de savoir ce qu’il en adviendra. D’ici là, il faudrait être fou pour travailler pour des parts.

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