Tournée générale

Jan Tuerlinckx

Toutes les Excellences furent des politiciens locaux dans une vie antérieure. Elles en ont retenu qu’une bière peut être aussi curative que rafraîchissante. Leur première suggestion est donc la suivante : « Donnez aux gens de l’argent pour boire une bière fraîche, et l’ambiance changera rapidement. » Cette idée exquise fait presque immédiatement l’objet d’un consensus. Un sentiment d’euphorie olympique s’empare de la réunion.

Jusqu’à ce que la plus intelligente des Excellences souligne que cela coûtera environ 2,5 bières par personne. Car si une bière coûte 3 euros, il faut payer 7,5 euros. 3 euros pour la bière, mais aussi 4,5 euros de taxes. L’euphorie se transforme en incrédulité. Payer 2,5 bières pour ne pouvoir en boire qu’une seule ? Le registre des impôts de l’État est dépoussiéré et consulté. Il s’avère que c’est la vérité. L’ambiance d’incrédulité se transforme à présent en mélancolie allant de pair avec une quatrième place aux Jeux olympiques. Mais les Excellences ne seraient pas les Excellences si elles ne restaient pas assises les bras croisés.

Pendant un moment, l’assemblée suggère de payer une seule bière, puis de laisser les gens découvrir par la suite qu’elle ne valait en fait qu’un tiers de bière. Le laquais suggère de ne pas le faire. L’indignation risquerait d’empirer. Dans des circonstances normales, le travailleur pourrait décharger sur l’employeur sa colère face au peu qu’il lui reste d’un bonus. Ce serait différent maintenant. Le cadeau serait perçu comme venant des Excellences elles-mêmes. Et s’il y a bien une chose à laquelle elles sont sensibles, c’est leur réputation.

Le silence de plomb est interrompu par l’Excellence la plus rusée. « Mais, nous sommes quand même des Excellences ? Quand nous disons quelque chose, c’est comme ça, non ? Il suffit de décréter que cette taxe insensée et excessive ne s’applique pas à notre cadeau. D’accord, c’est plutôt ostentatoire, mais il existe aussi une solution à ce problème. Nous emballons le cadeau dans un chèque. Un chèque n’est pas un salaire, nous le décrétons tout simplement. Il n’y a donc pas d’impôt à payer non plus. Et ce chèque donne droit à une bière. Il n’y a rien à redire », conclut-il. Comme s’ils avaient remporté l’or, les Excellences tombent dans les bras les unes des autres.

Le laquais n’en croit pas ses oreilles. La situation de son ami dirigeant d’entreprise lui vient soudain à l’esprit. Il a traversé une année difficile il y a quelque temps. Cependant, son contremaître l’avait grandement aidé. Comme il n’avait pas de marge de manœuvre financière, il a dit à son contremaître : « Tu sais quoi, va boire une bière sur le compte de l’entreprise et je rentrerai la note. » En substance, il a donc fait exactement ce qu’ont décidé les Excellences ici présentes. Seulement, le dirigeant d’entreprise n’a pas reçu de louanges, mais une amende fiscale colossale pour commissions secrètes.

Du point de vue de la moralité et de la cohérence de la fiscalité, de nombreuses remarques peuvent être formulées à l'égard de la prime corona. 

Jusqu’à la fin de l’année, les employeurs peuvent octroyer des chèques consommation d’une valeur maximale de 500 euros à leur personnel, la fameuse prime corona. Les chèques peuvent être dépensés entre autres dans l’horeca et les commerces. Ils permettent en effet de boire des bières. Aussi curatives que rafraîchissantes. Mais, du point de vue de la moralité et de la cohérence de la fiscalité, de nombreuses remarques peuvent être formulées à cet égard. Peut-être comprenez-vous maintenant pourquoi cela suscite la colère de certains employeurs.  

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