Tomates plus chères

Jan Tuerlinckx

Somme toute, les finances ne sont pas si compliquées. Ceux qui gagnent de l’argent en travaillant peuvent le garder, l’investir ou le consommer. Dans chacune de ces trois options, l’État prend sa part du gâteau. Il y a toujours des impôts. Pour les travailleurs, il y a le tarif d’imposition progressif et vertigineux sur les revenus professionnels. Pour les investisseurs, un précompte mobilier tout aussi élevé, agrémenté de suppléments comme une taxe sur le compte-titres ou la taxe sur les opérations boursières, est de mise. Pour les consommateurs, il y a la TVA. Le taux de TVA est de 6, 12 ou 21 pour cent chez nous, la plupart des produits étant soumis à un taux de 21 pour cent, qui se situe dans la moyenne européenne.

Tout le monde s’accorde à dire que la pression fiscale est incroyablement lourde et qu’une augmentation des impôts n’est plus soutenable. Bien au contraire, pour protéger notre compétitivité par rapport à l’étranger, les charges salariales doivent baisser. Ce serait également une bonne chose pour augmenter le taux d’emploi, ce qui serait à son tour une solution pour le problème urgent auquel est confrontée notre sécurité sociale. Mais une telle réduction des charges semble, pour le moins que l’on puisse dire, difficile au niveau politique. Le trésor public a besoin de chaque cent et préfère voir les euros arriver le plus tôt possible. On pourrait en conclure qu’il n’y a aucune latitude pour une réduction des charges salariales. Mais c’est sans compter le taxshift. La troisième et dernière phase du taxshift, instauré par le gouvernement Michel Ier en 2015, est entrée en vigueur. Le taxshift a réduit les charges patronales en les compensant par un impôt sur le capital.

Mais il reste du pain sur la planche pour que le travail devienne financièrement intéressant dans ce pays. Le prochain gouvernement s’inspirera plus que probablement d’autres pays européens. La tendance ? Imposer plus lourdement la consommation et, avec ces recettes, réduire les charges salariales. Les Pays-Bas ont instauré ce type de taxshift depuis le 1er janvier. Chez nos voisins du nord, les taux de TVA sont de 6 et 21 pour cent. Comme chez nous, le taux de 6 pour cent s’applique essentiellement aux produits de base, comme les fruits et les légumes. Depuis le début de cette année, les Néerlandais ne paient plus 6 mais 9 pour cent de TVA sur les produits de base. Des voix s’élèvent pour dire que ce n’est pas vraiment démocratique. Le gouvernement néerlandais argumente que le coût de la vie d’une famille de classe moyenne augmentera d’environ 300 euros chaque année, mais que celui des familles aisées augmentera de plus de 300 euros. Les partisans affirment que ces tomates plus chères restent dans le domaine du raisonnable, car au Danemark, un taux de 25 pour cent s’applique sur tous les produits. Selon les estimations, la mesure devrait rapporter chaque année 2 milliards d’euros. Cet argent sera directement injecté dans l’économie, sous la forme d’une baisse des charges salariales pour la catégorie de revenus les plus bas. C’est ainsi que les Pays-Bas réalisent leur taxshift.

Ce taxshift néerlandais présente aussi d’autres avantages. Il réduit l’incompréhension qui règne dans le pays quant à la répartition des taux de TVA. Il en va de même en Belgique. Qui comprend pourquoi il faut payer 6 pour cent de TVA sur le beurre et 12 pour cent sur la margarine ? Pourquoi le taux de TVA est-il de 6 pour cent sur un repas à emporter et de 12 % sur le même repas quand il est mangé sur place ? Qui plus est, une augmentation de la TVA au profit d’une réduction des charges salariales est une mesure protectionniste, qui rend l’exportation meilleur marché et impose plus lourdement les produit importés.

Comme 2019 fait toujours partie de la décennie au cours de laquelle les taxshifts sont de bon ton, on est en droit de penser qu’une augmentation de la TVA avec compensation sur les charges salariales sera à nouveau mise sur la table lors de la formation du gouvernement dans le courant de l’année. Reste à savoir à quel point ces tomates plus chères seront digestes. Il y a fort à craindre qu’elles soient aussi utilisées pour atterrir en droite ligne sur les politiciens.

Jan Tuerlinckx dans Trends/Tendances

Published under