Mode de vie fusion : nouveaux frais à déduire ?

Jan Tuerlinckx

Sur le plan structurel, nous vivons et travaillons différemment d’il y a 15 ou 20 ans. La relation travail-vie privée était plutôt structurée à l’époque. Aujourd’hui, elle est estampillée de « fusion ». Le cloisonnement strict entre travail et non-travail tend à disparaître. Grâce d’une part à la mondialisation et d’autre part au développement et à la démocratisation des technologies de la communication, nous nous retrouvons tous dans une situation dans laquelle nous travaillons au moins un peu. Il s’avère en outre que ce mode de vie et de travail pose de nouveaux défis. Le stress augmente progressivement et des choses aussi élémentaires que la santé physique et mentale sont relayées à l’arrière-plan. Dépression, inactivité et surpoids : tels sont les nouveaux écueils. Pour s’armer contre ces travers, le travailleur doit prendre de plus en plus de mesures et de précautions. Ce sont les seuls moyens pour se protéger des défis du travail moderne.

Sur le plan fiscal, une question pointe le bout de son nez : ces frais pourront-ils aussi être considérés comme des dépenses déductibles ? Qu’en est-il si un travailleur cherche un psychologue, consulte un coach sportif ou s’inscrit dans un club de fitness ? Ces frais sont-ils fiscalement déductibles pour lui ? Les frais peuvent prétendre à une déduction fiscale s’ils sont réalisés en vue d’obtenir ou de conserver des revenus professionnels. Les frais doivent être plus ou moins spécifiques. Ceux que nous faisons tous – disons pour vivre – n’entrent pas en considération. De même que les soins personnels. Un contrôleur des impôts vous enverra donc balader avec vos frais de psychologue, de coach sportif ou de club de fitness. Raison invoquée ? Ils sont « non professionnels ».

Mais si vous suivez un tant soit peu l’actualité, vous adopterez peut-être un autre point de vue. Une pluie d’initiatives légales et réglementaires s’abat sur l’employeur pour l’obliger à faire de la prévention sous diverses formes : prévention contre la dépression, engagement d’un coach sportif, formation en gestion du temps... Que les choses soient claires : si l’intention du législateur est d’imposer un tel encadrement à l’employeur, c’est qu’il convient de reconnaître que c’est nécessaire, non ? Nous sommes quand même en droit de supposer que le législateur n’a pas l’intention d’imposer des charges inutiles aux employeurs. Avec ces initiatives législatives, force est de constater que ces frais sont nécessaires ou tout au moins utiles. Les initiatives législatives servent à faire en sorte que les travailleurs restent fidèles au poste tout en étant en bonne santé. Et donc qu’ils perçoivent des revenus.

Ce qui vaut sur le plan collectif vaut bien entendu aussi sur le plan individuel. Cela vaut donc également pour un travailleur qui doit faire ces frais dans le but de conserver ses revenus. Inutile de démontrer, en effet, qu’un travailleur dépressif verra ses revenus imposables chuter. Les frais consentis pour éviter cette situation sont donc des frais destinés à conserver les revenus. C’est aussi simple que ça.

Il y a de fortes chances que le fisc n’adhère pas à cette vision. Mais la défense en la matière est double. Nous avons déjà démontré ci-dessus que le législateur sous-entend lui-même que ces frais sont nécessaires ou tout au moins utiles. Qui plus est, l’aversion du fisc est déraisonnable d’un point de vue budgétaire. Une plus grande déduction des frais fera bien sûr baisser la base imposable. C’est donc raisonné d’un point de vue purement fiscal. Mais cela ne couvre qu’une partie de la réalité. Il existe encore une certaine sécurité sociale, dont les experts vous diront que les personnes dépressives coûtent un paquet d’argent à la société. Il convient donc de trouver l’effet retour…

Après tout, la fiscalité n’a pas pour seul but d’enrichir le trésor public. La fiscalité est également vue comme un moyen de dicter un comportement. C’est ainsi qu’elle nous contraint notamment à alléger notre empreinte carbone. Ce faisant, se pose aussi la question de savoir pourquoi la fiscalité ne pourrait pas être utilisée pour encourager les individus à mener un style de vie sain à une époque où beaucoup cherchent de nouveaux équilibres.

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