L’horreur des chiffres bruts

Jan Tuerlinckx

La digitalisation de la fiscalité et son traitement numérique sont une réalité. Il est évident que nous n’en sommes qu’au début de cette évolution. Par ailleurs, la période de crise sanitaire que nous traversons constitue un catalyseur important. Quiconque caresse l’idée d’un contrôle fiscal tel qu’il existait encore il y a une dizaine d’années est un doux rêveur.

L’e-audit a fait l’objet d’une attention particulière depuis la réorganisation interne des services d’inspection fiscale en 2015. Depuis environ deux ans, cette méthodologie est plus largement appliquée. On peut donc parler de l’innovation des Finances. Mais toute innovation connaît malheureusement des maladies de jeunesse.

L’approche de l’e-audit constitue un manquement plus important. « Les e-auditeurs ont du flair pour les secrets et détectent la fraude dissimulée entre les bits et les bytes », pour reprendre les mots des Finances. Ceux qui, derrière un écran, réalisent un audit uniquement piloté par des bits et des bytes risquent de porter des œillères. Cela revient à considérer et à interpréter toutes les indications à partir d’une seule hypothèse supposée correcte, en négligeant les autres explications. En pratique, on voit de la fraude là où il n’y en a tout simplement pas. Comment est-ce possible ? Derrière les écrans d’ordinateur perfectionnés, l’e-audit est déconnecté de la réalité et de la pratique. On se réfère souvent à une réalité utopique et infaillible, mais personne n’est parfait. Et les programmeurs qui développent les logiciels des entreprises n’échappent pas à cette règle. Il arrive parfois que l’interface soit très belle, mais que le logiciel en lui-même ne le soit pas. Ou encore que les erreurs humaines dans le processus d’entreprise ne soient pas prises en compte. Les partisans du moindre effort sont une loi universelle. Les processus d’entreprise ne sont donc pas toujours parfaitement exécutés. Dans ce cas, les bits et les bytes peuvent raconter autre chose que la réalité.

Derrière les écrans d’ordinateur perfectionnés, l’e-audit est déconnecté de la réalité.

Dans certains cas, les résultats d’un e-audit sont tellement insolites que certaines conclusions font même l’objet de discussions au sein de l’administration fiscale. Notamment lorsque l’auditeur sur le terrain n’est pas d’accord avec les résultats de l’enquête abstraite, et que les deux parties sont en réel désaccord.

Si l’e-audit n’est pas prêt de disparaître, il est urgent de créer un cadre approprié pour cette méthodologie de contrôle particulière. Un mécanisme d’équilibre s’impose. Pourquoi ? Parce que le dicton dit que les statistiques peuvent prouver n’importe quoi.

 

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