Les SCI françaises dans le tourment en Belgique

Baptistin Alaime

Baptistin Alaime | Tuerlinckx Tax Lawyers
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De nombreux résidents belges détiennent un patrimoine immobilier dans une société civile immobilière française (« SCI »).

Le traitement fiscal de ces SCI a déjà fait couler beaucoup d’encre en Belgique. Alors que l’on pensait que l’incertitude avait été dissipée suite au revirement de la jurisprudence belge, ce sont maintenant les Cours et Tribunaux français qui viennent récemment de semer le chaos juridique.

Commençons par le commencement. Comme pour tout revenu, la Convention Préventive de Double Imposition (CPDI) conclue entre la Belgique et la France règle la question de savoir lequel de ces deux Etats dispose du pouvoir d’imposer les revenus d’origine française perçus par un résident belge. De manière très synthétique, cette CPDI nous précise que les revenus immobiliers ne sont imposables que dans l’Etat dans lequel se trouve l’immeuble alors que les revenus mobiliers, tels que les dividendes, sont imposables dans l’Etat de résidence (et dans une mesure limitée dans l’Etat source).

Toute la difficulté provient du régime fiscal qui s’applique aux SCI en droit français. Une SCI peut être transparente. Dans ce cas, les associés sont directement imposés sur les revenus que la société perçoit, comme si elle n’existait pas. C’est plus ou moins l’équivalent de notre article 29 CIR 1992.

Le plus souvent, elle est toutefois translucide. Les associés sont alors imposés sur leur quote-part dans les bénéfices recueillis par la SCI, que ceux-ci aient été distribués ou mis en réserve. La SCI reste néanmoins un être fiscal à part entière. Pour preuve, l’existence de la matière imposable est appréciée dans son chef. C’est donc une forme hybride entre la transparence et la personnalité fiscale complète.

Pour compliquer le tout, les associés peuvent également décider de soumettre la SCI à l’impôt français des sociétés.

S’est donc posée la question de savoir si les revenus distribués par une SCI translucide étaient des revenus immobiliers ou mobiliers pour connaître le sort qui leur est réservé dans la CPDI franco-belge. Ce régime de translucidité n’existe en effet pas en droit belge. Dans un premier temps, la Cour de cassation belge a estimé que les revenus distribués par une SCI devaient être considérés comme des revenus immobiliers au sens de la législation française et à ce titre uniquement imposable en France (Cass., 2 décembre 2004, Rôle n° F030006F).

Si cette position était correcte pour les SCI transparentes, elle l’était moins pour les SCI translucides. En effet, ces dernières ont une personnalité juridique et fiscale distincte. 12 années plus tard, la Cour de cassation belge a donc fait un extraordinaire revirement de jurisprudence. Depuis ses arrêts du 26 septembre 2016 et 21 septembre 2017, elle considère en effet que les revenus perçus par une SCI ne sont imposables qu’en France selon le régime de translucidité mais que leur distribution ultérieure est n’est imposable qu’en Belgique. La Cour motive sa décision par la législation française qui, selon elle, ne qualifierait pas de biens immeubles les actions détenues dans une SCI française.

Petite subtilité technique : selon un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 7 novembre 2019, il ne s’agirait néanmoins pas de dividendes au sens de la CPDI. L’imposition en Belgique de la distribution serait fondée sur la compétence résiduaire prévue à l’article 18 de la CPDI. Si l’on suit ce raisonnement, cela signifierait qu’il ne serait pas possible de se prévaloir de la quotité forfaitaire d’impôt étranger qui a été récemment ressuscitée par la Cour de cassation (voy. notamment Cass., 16 juin 2017, n° F.15.012.N).

Mais l’histoire ne s’arrête malheureusement pas là. Le traitement fiscal des cessions de parts dans une SCI fait désormais lui aussi l’objet de controverses. Si ces parts sont qualifiées de biens meubles au sens de la CPDI, la plus-value ne peut alors être imposée qu’en Belgique. Au contraire, s’il fallait considérer qu’il s’agit de biens immeubles, le pouvoir d’imposition reviendrait à la France. Et là, le Conseil d’Etat français (Conseil d’Etat, 24 février 2020, n° 436392) prend une position diamétralement opposée à celle de la Cour de cassation belge en décidant que les actions d’une SCI sont des biens immeubles au sens de la CPDI belgo-française. Les plus-values réalisées sur celles-ci seraient donc imposables en France.

A noter que cette position du conseil d’Etat français est en contradiction avec celle de la Cour de cassation française qui considère qu’il s’agit de biens meubles au sens de la Convention conclue avec Monaco en matière de droits de succession.

Il faut reconnaître que le contribuable ne sait plus sur quel pied danser. Pire encore, il s’expose à un risque de double imposition. La plus-value pourrait en effet être imposée en France selon la jurisprudence française mais également, si elle ne s’inscrit pas dans le cadre de la gestion normale du patrimoine, en Belgique selon la jurisprudence belge.

Les CPDI sont de magnifiques instruments. Leur efficacité est cependant vite balayée par une divergence d’interprétation entre les Etats qui peut mener à une double imposition qu’elles ont, pourtant, pour but de prévenir. Les contribuables qui y seront confrontés pourront éventuellement recourir à la nouvelle procédure d’accord amiable entre Etats Membres entrée en vigueur le 1er juillet 2019. Mais la route sera longue. Il vaut dès lors mieux bien réfléchir avant de loger un patrimoine immobilier dans une SCI. Le terrain est miné.

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