Les règles anti-blanchiment vont trop loin

Jan Tuerlinckx

Il y a quelques semaines, la fine fleur des fiscalistes du pays s’est bousculée sur Twitter suite à un arrêt de la Cour de cassation du 13 octobre 2020. La pierre d’achoppement ? La charge de la preuve dans les affaires de blanchiment. Ceux qui pensaient qu’il fallait des preuves solides avant que quelqu’un puisse être poursuivi pour blanchiment avaient tort. Transposé en langage humain : la Cour a confirmé que le juge pouvait déduire un avantage patrimonial illégal de faits connexes et concordants suggérant un tel avantage.

Pour ceux qui ont suivi l’évolution de l’application de la législation anti-blanchiment, bien qu’a priori particulièrement injuste, ce n’est pas vraiment une surprise. Cela ressemble à une violation de notre droit de propriété, et ça l’est peut-être. La Cour européenne des droits de l’homme devra examiner si des soupçons suffisent pour pouvoir prononcer une confiscation dans une affaire de blanchiment.

« La pression maximale que la législation anti-blanchiment peut exercer sur le système financier est peu à peu atteinte. »

L’arrêt traversera le secteur financier comme une onde de choc. L’Autorité bancaire européenne (ABE) craint déjà que les règles anti-blanchiment aillent trop loin. Ces dernières années, les décideurs politiques ont resserré la vis pour les banques qui ne surveillent pas leurs clients de près. Comme elles peuvent se voir infliger de lourdes amendes, elles ne veulent pas prendre le moindre risque. Mieux encore, elles ne fournissent plus de services, refusent des clients ou rompent leurs relations avec certains clients. Le point de non-retour est presque atteint. Les banques sont soumises à une énorme pression. En raison des réglementations et des règles de conformité trop agressives, elles jettent le bébé avec l’eau du bain.

Ce derisking prend en otage les entreprises et les individus de bonne foi. En Europe, mais surtout aussi en Belgique. Ebury en est un bon exemple. Cette institution financière active au niveau mondial propose une plateforme pour la gestion et l’exécution de paiements internationaux. Le régulateur oblige l’entreprise à renforcer sa politique anti-blanchiment. De ce fait, elle ne débloque les fonds des clients qu’après un processus de contrôle renforcé. Résultat ? De longs délais d’attente chez Ebury. Certains titulaires de comptes sont donc confrontés à des problèmes insurmontables. Il est en effet vital, pour les entreprises, de pouvoir effectuer des transactions. Le président du tribunal de l’entreprise de Bruxelles a déjà dû intervenir. Ebury a reçu l’ordre légal de transférer tous les fonds dans les 24 heures à compter de la notification.

Si les banques se voient confier des tâches d’investigation poussées, l’arrêt de la Cour de cassation mettra encore davantage les nerfs à vif. La pression maximale que la législation anti-blanchiment peut exercer sur le système financier est peu à peu atteinte. Heureusement, je ne suis pas le seul à le dire, et les institutions financières qui n’osent pas l’exprimer à voix haute ne sont pas les seules à le penser. L’Autorité bancaire européenne, qui est par ailleurs considérée comme diplomatique, tirera la sonnette d’alarme.

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