Le respect des droits fondamentaux doit primer la jurisprudence Antigone

Baptistin Alaime

L’administration fiscale dispose de nombreux pouvoirs d’investigation afin d’établir l’impôt. Toutefois, ceux-ci ne peuvent être exercés n’importe comment.

La loi fiscale contient, en effet, toute une série de règles de procédure qui encadrent la manière dont le fisc peut exercer ces pouvoirs d’investigation.

Cependant, lorsqu’une preuve est obtenue illégalement par le fisc, son utilisation n’est pas pour autant automatiquement exclue. En effet, en vertu de la jurisprudence Antigone, l’utilisation d’une preuve obtenue illégalement n’est refusée que dans trois cas :
 

  • Lorsque le législateur prévoit une sanction particulière à la violation de la règle de procédure ;
  • Lorsque la preuve a été obtenue d’une manière tellement contraire à ce qui est attendu d’une autorité agissant selon le principe de bonne administration que cette utilisation ne peut en aucune circonstance être admise ;
  • Ou encore lorsque l’utilisation de la preuve porte atteinte au droit du contribuable à un procès équitable. 

S’est alors rapidement posée la question de savoir comment concilier cette jurisprudence Antigone avec le respect des droits fondamentaux tel que le droit au respect de la vie privée consacrés par la Convention Européenne des Droits de l’Homme (ci-après la « CEDH »).

Le Tribunal de Première Instance de Gand vient récemment de répondre à cette interrogation dans un jugement du 5 mai 2017. Dans l’affaire en question, l’administration avait établi une cotisation spéciale sur commission secrète à charge d’une société en utilisant des renseignements bancaires obtenus illégalement.

En effet, dans un premier temps, l’administration avait demandé à un contribuable personne physique de produire les extraits de compte bancaire dont il était titulaire ou mandataire, à l’exception de ceux relatifs aux sociétés. Dans un deuxième temps, elle avait demandé à certains établissements bancaires de produire tous les extraits de compte dont ce contribuable était titulaire ou mandataire mais cette fois-ci sans exclure ceux relatifs aux sociétés. L’administration s’était alors ensuite basée sur les informations obtenues de la banque concernant les comptes de cette société pour établir une cotisation spéciale sur commission secrète à charge de celle-ci.

Or, pour que le fisc puisse percer le secret bancaire, la loi impose le respect de certaines règles de procédure. Parmi ces règles, figure notamment celle obligeant l’administration à demander les renseignements concernés d’abord au contribuable avant de s’adresser à la banque. En l’espèce, cette règle n’avait pas été respectée puisque, d’une part, le fisc avait adressé la demande de renseignements au contribuable personne physique, et non à la société ; et d’autre part, il avait exclu les comptes ouverts au nom de la société dont ce contribuable personne physique était mandataire.

L’affaire fut portée, une première fois, devant le Tribunal de Première Instance de Gand qui annula la cotisation spéciale au motif que les renseignements bancaires avaient été obtenus en violation de la loi (Civ., Gand, 4 mars 2016).

Le fisc voulut alors couvrir cette illégalité en recommençant la procédure en prenant le soin, cette fois-ci, de demander à la société les informations relatives aux comptes bancaires avant de procéder à l’enquête bancaire. La société introduisit alors, à nouveau, un recours devant le Tribunal estimant que la deuxième procédure était également irrégulière étant donné que les informations bancaires avaient été obtenues, initialement, de manière illégale.

La possibilité d’admettre ces éléments de preuve en vertu de de la jurisprudence Antigone fut alors abordée par le Tribunal. Selon celui-ci, les règles de procédure encadrant la possibilité pour le fisc de lever le secret bancaire constituent des garanties légales mises en place par le législateur pour sauvegarder le droit au respect de la vie privée des contribuables. C’est, notamment, le but poursuivi par l’obligation imposée au fisc de demander les informations au contribuable lui-même, préalablement à l’enquête bancaire.

Par conséquent, le Tribunal estima que les informations avaient été obtenues en violation du droit au respect de la vie privée consacré à l’article 8 de la CEDH. Partant, le Tribunal jugea alors que l’utilisation de ces preuves obtenues illégalement constituait une atteinte au droit à un procès équitable (le 3ème cas visé par la jurisprudence Antigone) et devait, par conséquent, être exclue.

Ce jugement dans lequel le Tribunal a fait prévaloir le respect du droit fondamental au respect de la vie privée, fait écho à l’arrêt de la Cour de Justice WebMindLicences du 17 décembre 2015. La Cour avait, en effet, considéré dans cette affaire que l’utilisation d’une preuve obtenue illégalement devait être exclue dans certaines circonstances et, notamment, en cas de violation du droit au respect de la vie privée garanti par l’article 7 de la Charte Européenne des Droits de l’Homme.

Cet arrêt a, toutefois, été rendu en matière de TVA. Il n’était donc pas certain que son enseignement pouvait être transposé mutatis mutandis en fiscalité directe puisque celle-ci ne fait pas partie des compétences de l’Union européenne. Le jugement du 5 mai 2017 du tribunal de Gand vient donc dissiper le doute existant à cet égard et confirme que le respect des droits fondamentaux doit primer la jurisprudence Antigone aussi bien en matière de TVA que d’impôts directs.

On voit donc qu’il est possible de concilier le respect des droits fondamentaux avec la jurisprudence Antigone en faisant primer ceux-ci. Une violation d’un droit fondamental comme le droit au respect de la vie privée ne peut pas être couverte par la jurisprudence Antigone. C’est la seule interprétation permettant de garantir le respect de la CEDH. A l’avenir, nos cours et tribunaux devront se prononcer unanimement dans ce sens s’ils veulent éviter une condamnation devant la Cour européenne des droits de l’homme.

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