Imaginez que vous soyez banquier...

Jan Tuerlinckx

En Belgique et à l’étranger, les banques sont de plus en plus souvent confrontées à des problèmes, car elles acceptent de l’argent sur lequel tous les impôts n’ont pas forcément été payés par le passé. Chez nous, KBC, anciennement Degroof-Petercam, en a récemment fait les frais. Mais toutes les banques y seront probablement confrontées tôt ou tard.
En quinze ans, le système financier a connu une révolution copernicienne. On considère aujourd’hui que seules les ressources financières sur lesquelles toutes les taxes ont historiquement été prélevées (impôt sur le revenu, précompte mobilier, TVA, droits de succession...) sont légitimes. Lorsque chaque euro n’a pas été payé, le capital a une origine au moins partiellement illégale. Une régularisation fiscale permet de rectifier la situation.

Rien d’étonnant dès lors à ce que l’évaluation correcte de la structure historique d’un patrimoine pose parfois problème. Plus important encore : ces dernières années, l’administration a adopté une attitude très ambigüe par rapport aux impôts prescrits. Il s’agit des impôts que les citoyens n’ont pas payés à tort, mais que le fisc ne peut plus imposer dans les délais de prescription fiscaux. Jusqu’en 2000, les impôts prescrits n’ont empêché personne de dormir. Les contribuables avec de l’argent au noir sur des comptes luxembourgeois, qui se sont fait prendre à l’époque, se sont vu proposer une transaction de 3 pour cent par le fisc. Après paiement, on estimait qu’ils étaient lavés de leurs péchés et avaient régularisé leurs capitaux. La première régularisation fiscale légale a suivi en 2004, avec la déclaration libératoire unique (DLU). Le contribuable payait au choix 6 ou 9 pour cent. À l’époque, tous les péchés fiscaux ont été lavés sans restriction. La législation DLU était temporaire. À terme, il n’y avait pas de cadre légal pour régulariser des impôts. Il ne restait au contribuable qu’à se tourner vers l’administration fiscale. Bien souvent, il n’était pas question de régulariser les impôts historiques prescrits.
Un nouveau cadre législatif a vu le jour en 2006, pour être à nouveau supprimé fin 2013. Au cours du dernier trimestre de 2013, le contribuable pouvait se libérer de l’impôt historique à un tarif tout compris de 35 pour cent. Les contribuables qui se sont repentis par la suite pouvaient s’adresser aux services locaux de contrôle et à l’ISI. Une pratique officieuse de régularisation, qui tenait parfois – et parfois pas – compte des impôts historiques, s’opérait là aussi.

Cette pratique n’ayant aucun fondement légal et n’étant pas considérée comme idéale, la législation a une nouvelle fois été modifiée en 2016. Le contribuable s’est vu obligé de régulariser l’impôt historique s’il était incapable de prouver que le capital avait fait l’objet d’un traitement fiscal normal. La possibilité d’une régularisation auprès de l’ISI et des autres services fiscaux avait disparu. Le déclarant doit prouver par écrit que le capital a été soumis à son traitement fiscal normal. S’il n’y parvient pas, il est redevable d’une taxe de 39 pour cent. La notion actuelle de l’impôt historique est donc récente. Elle n’a été formalisée que depuis le dernier amendement législatif de 2016 dans la législation relative à la régularisation. Il est rare de pouvoir présenter un carnet d’entretien détaillé des capitaux. Sa reconstitution sur de nombreuses années représente souvent un exploit, tandis que le ministère public peut exclure toute provenance légale s’il cherche à atteindre une condamnation pour blanchiment d’argent issu de la fraude fiscale.

La législation relative à la régularisation est un patchwork d’approches pas toujours cohérentes. Imaginez que vous soyez banquier que vous deviez évaluer l’origine légitime du patrimoine du contribuable. La façon dont le législateur appréhendait les régularisations fiscales par le passé est en contradiction flagrante avec la vision actuelle. L’évaluation de ces régimes de régularisation fiscale est un terrain fertile pour le doute et l’incertitude. La prochaine fois que vous lirez dans la presse qu’une banque est confrontée à un problème de blanchiment, n’imaginez pas forcément que la banque est à l’origine du problème, mais plutôt que notre régulateur l’est.

Jan Tuerlinckx dans l'Echo

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