Faux pas fiscal

Jan Tuerlinckx

Impossible de passer outre en examinant les statistiques. La Belgique occupe la position peu enviable de ‘challenger’ de la France. Tout au moins lorsqu’il s’agit de créer la plus grande pression fiscale. Alors que les Belges sont les champions du monde dans l’imposition du travail, les Français le sont dans l’imposition du patrimoine privé. Les Français n’aiment pas les riches. Réglées comme une horloge, des voix s’élèvent aussi chez nous pour taxer plus lourdement le patrimoine privé et les riches. Cette thèse arrivera à vos oreilles – probablement jusqu’à saturation – au cours des prochaines semaines. Certains veulent ainsi empêcher la Belgique de devenir un paradis fiscal pour les riches. Votre instinct vous dit peut-être qu’il ne faut pas y accorder trop de crédit. Mais c’est prouvé.

Des études internationales révèlent en effet que notre pression fiscale sur le capital, selon le critère appliqué, se trouve en tête du groupe intermédiaire, voire même parmi les plus élevées d’Europe. La France continue cependant à se démarquer. Mais si le rêve de certains se concrétise et qu’un impôt sur les plus-values est adopté, nous disposons de tous les atouts pour rivaliser avec la France dans cette discipline. La question est bien sûr de savoir si nous devons le vouloir. L’imposition additionnelle du patrimoine privé est-elle l’œuf de Colomb ou, au contraire, un faux pas fiscal ?

Une taxation excessive est toujours un faux pas. Même si elle concerne le patrimoine privé. Même si elle cible les plus grosses fortunes. Une étude récente de New World Wealth le révèle clairement. L’exportation de millionnaires français excède largement celle du vin français. C’est là que se dessine un parallèle absolu entre la taxation du patrimoine privé et la migration fiscale. Depuis le début du siècle, 1 millionnaire français sur 5 a troqué son homeland pour un autre. Parmi les 300 habitants de Suisse les plus fortunés, on dénombre pas moins de 49 Français. Nul doute que leur fortune cumulée atteint des proportions vertigineuses. Mais il ne s’agit pas là du principal constat. En effet, cette population de nantis ne se compose pas en majorité de rentiers. Non, ce sont des entrepreneurs. Il s’avère donc que la perte de taxation sur le capital privé semble ne pas être la perte la plus importante pour le Trésor français. Outre le fait d’avoir la très mauvaise réputation d’être un lourd taxateur, la France souffre également de dommages dans ses tissus économiques. L’évasion fiscale a fait dépenser de l’argent. Non seulement au niveau privé, mais aussi à celui des entreprises. Elle a créé un tissu économique et généré une plus-value. Elle est l’eau et le pain d’une nation et d’une économie. La perte d’emploi et d’impôt sur le revenu y afférente serait colossale. On estime à 5 à 10 milliards d’euros les recettes fiscales qui échappent ainsi au fisc. 

La France a conclu que la taxation excessive a influencé le cours de l’histoire et que cela continuera à se faire sentir dans les prochaines décennies. L’histoire démontre en effet que la migration de l’élite économique et intellectuelle a influencé les rapports de prospérité. Même notre histoire nationale en est le témoin. Suite aux guerres de religion entre catholiques et protestants, mêlées à la lutte pour l’indépendance contre l’Espagne, l’élite économique et intellectuelle anversoise s’est réfugiée à Amsterdam au 16e siècle. Elle y a été accueillie les bras ouverts et a été l’origine des siècles les plus prospères du nord des Pays-Bas. Une longue période de déclin s’est alors amorcée pour Anvers.

La France démontre en tout cas qu’une politique fiscale irréfléchie, même par rapport au patrimoine privé, peut avoir un effet négatif global sur l’économie et les finances publiques.  L’exemple du 16e siècle prouve que cela nous est déjà arrivé. Espérons que cette seule fois suffira et que nous ne trébucherons pas deux fois sur la même pierre. Message à nos politiciens : réfléchissez avant tout chamboulement fiscal.

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