Enquiquiner les Hollandais

Jan Tuerlinckx

Les autorités veulent nous faire croire, à nous contribuables, qu’il n’y a qu’un seul combat, et ce serait celui contre la fraude fiscale. Il y a au moins un autre combat, mais les autorités préfèrent ne pas nous en parler. C’est une lutte interne, qu’elles tentent de garder entre leurs murs. Il s’agit de s’approprier la plus grande part possible du gâteau fiscal international. Le contribuable doit payer des impôts, c’est un acquis international. Ce qui l’est beaucoup moins, c’est où il doit payer ces impôts, et quel pays est autorisé à alimenter ses caisses avec les recettes fiscales. Vous savez donc maintenant pourquoi l’Europe n’est pas parvenue à un accord sur la taxe numérique au cours des dernières semaines.

La taxe numérique est une taxe qui doit encore être introduite. Comme les règles du jeu ne sont pas encore définies, les querelles et les chamailleries internes sont compréhensibles dans un certain sens. Mais que faire si les règles sont déjà établies et qu’un pays les ignore délibérément à son propre avantage ? Lorsqu’un contribuable enfreint délibérément des dispositions contraignantes, il est qualifié de fraudeur. Et lorsqu’un état le fait ? Cela ne devrait pas exister. Mais cela existe pourtant bel et bien.

« Lorsqu’un contribuable enfreint délibérément des dispositions contraignantes, il est qualifié de fraudeur. Et lorsqu’un état le fait ? »

Tout comme la Belgique l’avait déjà fait par le passé, les Pays-Bas ont également mis fin en 2017 à la possibilité de constituer une pension dans l’entreprise. Chez nous, on parle de promesse de pension interne, aux Pays-Bas de pension en gestion propre. Après la fin de ce système, un chef d’entreprise néerlandais pouvait choisir de racheter les droits à la pension constitués. Imaginez qu’il vit en Belgique. La convention de double imposition entre la Belgique et les Pays-Bas accorde le droit d’imposition pour un rachat aux Pays-Bas si le montant du rachat excède 25.000 euros. L’administration fiscale belge ne serait pas fidèle à elle-même si elle ne remettait pas en question tout ce qu’elle peut remettre en question. Elle l’a déjà fait dans une circulaire de 2017, qui s’est heurtée aux objections du secrétaire d’État néerlandais compétent. Mais après une longue bataille juridique, qui a été réglée par notre Cour de cassation, l’administration a perdu. L’arrêt ne laisse planer aucun doute. « Cette disposition conventionnelle ne confère cependant pas à la Belgique le droit de prélever un impôt sur des revenus qui n’ont pas effectivement été imposés aux Pays-Bas », disait-il. Et pourtant, l’administration remet le couvert. Dans une circulaire datée du 18 octobre 2019, elle s’est à nouveau opposée diamétralement à la Cour de cassation. Si, dans la circulaire de 2017, l’accusation selon laquelle l’administration aurait délibérément mystifié la réalité était déjà justifiée, cela s’applique a fortiori à la circulaire de 2019. Vous avez lu ci-dessus comment on qualifie un contribuable qui agit de la sorte...

Et cela n’en reste malheureusement pas à cette circulaire. L’administration taxe aussi systématiquement les pensions constituées aux Pays-Bas comme si c’était un plaisir. Il suffit que le contribuable aille au tribunal pour qu’on lui donne raison. Chaque contribuable qui ne le fait pas est une victoire, telle est la devise.

À la maternelle, on pourrait appeler ça « enquiquiner les Hollandais ». Mais comme c’est le cas dans la cour de récréation, mieux vaut faire attention à qui l’on enquiquine. Cela peut provoquer des réactions inattendues. Les Néerlandais sont issus d’une culture qui porte un regard beaucoup plus critique sur les actions des autorités. Dans l’affaire du régime d’allocations familiales, l’administration néerlandaise doit répondre de fraude, c’est-à-dire d’imposition erronée délibérée.

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