D’où vient l’insécurité juridique actuelle ?

Jan Tuerlinckx

À l’heure actuelle, une forte insécurité juridique règne autour de l’optimisation fiscale liée à des avantages de toute nature pour les chefs d’entreprise. Pour nous éclairer sur ce sujet, nous nous sommes entretenus avec Kristof Brys, avocat et Jan Tuerlinckx, managing partner chez Tuerlinckx Tax Lawyers.

D’où vient l’insécurité juridique actuelle ?

« L’insécurité est, pour une bonne partie, due au changement de points de vue sur la déduction des frais et l’optimisation des rémunérations d’administrateurs. La réglementation en matière de cotisation sur commissions secrètes a été assouplie et de nombreuses modifications ont été apportées à la jurisprudence de la Cour de cassation à partir de la mi-2014 et de 2015, car elle établissait entre autres que les filiales pouvaient déduire fiscalement l’acquisition d’un appartement à la côte. Cependant, la Cour de cassation a considérablement modifié la théorie en considérant que des frais non liés à l’activité sociale d’une société, tels que décrits dans ses objets statutaires, pouvaient eux aussi être déduits fiscalement. »

Quelle en a été la conséquence ?

« À la suite à cette décision, l’administration fiscale a présenté la « théorie de la rémunération ». Selon cette théorie, lorsqu’un avantage est accordé à un chef d’entreprise, celui-ci est tenu d’apporter la preuve qu’il a effectivement fourni les prestations complémentaires justifiant cet avantage supplémentaire. La question qui se pose toutefois est de savoir à partir de quel moment cet avantage peut être justifié ? En ce qui nous concerne, nous avons le sentiment que l’administration fiscale cherche par ce biais à lutter contre l’optimisation des rémunérations des administrateurs. »

Existe-t-il des alternatives ?

« Des initiatives législatives ont déjà été proposées afin de mettre un terme à ce genre de situation. Un exemple : imaginons qu’une société fasse l’acquisition d’un bien immobilier et que le chef d’entreprise y réside gratuitement. Cet avantage et la taxation aérente sont inférieurs à l’amortissement. La partie déductible pour la société pourrait dans ce cas être limitée à l’imposition réelle du bénéficiaire. Ce type de transfert administratif permettrait de rétablir totalement l’équilibre. »

Que conseillez-vous aux chefs d’entreprise ?

« En cas d’optimisation liée à un avantage de toute nature, nous conseillons de bien se documenter sur les raisons de l’octroi d’un tel avantage, et ce, dès son attribution. Il importe également de le reprendre dans l’administration de la société, les procès-verbaux des assemblées générales ou des accords, de manière à en garder une trace écrite. Une telle approche permet de préparer la justification en cas de contrôle. »

Comment voyez-vous les choses évoluer ?

« Nous craignons que la « théorie de la rémunération » devienne le terrain d’un affrontement opposant les autorités fiscales aux chefs d’entreprise. Vu la diffculté majeure de justifier les raisons de l’octroi d’un avantage supplémentaire, nous nous resterons vraisemblablement encore pour un bon bout de temps dans une situation d’insécurité juridique, à moins évidemment qu’une initiative intervienne sur le plan législatif, mais le ministre des Finances n’a pas encore fait connaître de point de vue offciel. »

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