Attention à ce qui est mesuré (Edito Trends 30/06/2022)

Jan Tuerlinckx

Le choix des KPI dans un plan stratégique est un exercice délicat. Ils sont considérés comme l’objectif opérationnel en fonction duquel les évaluations sont effectuées. D’où l’avertissement lancé dans le milieu du management : « On obtient de l’organisation ce que l’on mesure ». Prenons un exemple. Si on mesure le nombre de nouveaux clients, les membres de l’organisation chercheront à ce que le nombre de nouveaux clients augmente. L’un des pièges consiste alors à attirer de nombreux nouveaux clients, mais sans tenir compte de leur qualité intrinsèque.


Jusqu’à la moitié des années 2000, le ministre des Finances appelait ses services en fin d’année pour demander combien d’impôts avaient été établis. Cet appel s’inscrivait dans le cadre du budget annuel et des contrôles budgétaires ultérieurs. Les données demandées ont toujours révélé que les impôts établis suite aux contrôles fiscaux étaient particulièrement élevés, mais aussi que leur perception effective était loin d’être assurée. Seule une petite partie des impôts exigés suite aux contrôles fiscaux était effectivement perçue.
En plus d’être peu pratique à des fins budgétaires, cela indiquait aussi qu’un grand nombre d’impôts additionnels étaient injustifiés.
En sachant qu’une organisation donne ce qui est mesuré, l’approche adoptée a quelque peu changé. Dans la proverbiale conversation téléphonique avec son administration, le ministre ne s’enquiert plus des « impôts établis » suite aux contrôles fiscaux, mais des « impôts effectivement perçus ».
Afin de donner une réponse positive à leur ministre, les fonctionnaires se sont – peut-être 
 
même inconsciemment – adaptés. Le moyen le plus rapide d’arriver aux « impôts perçus » est de conclure un accord avec le contribuable. Lors d’un premier cycle de contrôles – qui peut être estimé à sept ans – les fonctionnaires ont largement misé sur la conclusion de ces accords. Ces accords ont permis de définir de nombreux principes relatifs à ce qui était autorisé ou non en matière de déductibilité des frais.
Nous en sommes aujourd’hui au deuxième cycle de contrôles. Dans son coup de fil de fin d’année, le ministre demande toujours le montant effectivement perçu, mais il ajoute qu’il pourrait être un peu plus élevé du point de vue budgétaire. Les fonctionnaires chargés du contrôle sont désormais confrontés à des contribuables ayant conclu un accord avec l’administration fiscale il y a quelques années et qui, depuis lors, se sont toujours comportés conformément aux principes 
La quantité d’accords du passé qu’ignore l’administration fiscale aujourd’hui est déraisonnablement importante.

de cet accord. Cependant, la quantité d’accords du passé qu’ignore l’administration fiscale aujourd’hui est déraisonnablement importante. Ces accords sont pourtant contraignants pour l’administration fiscale. Les principes de sécurité juridique et de confiance légitime y veillent. 
En réalité, ce billet aurait tout aussi bien pu porter sur ces principes. Mais il était plus intéressant de creuser plus profondément, à la racine du problème. De manière assez surprenante, cette racine n’est pas juridique, mais plutôt de nature stratégico-managériale. Soyez vigilant quand vous déterminez les KPI. L’organisation donne ce qui est mesuré. Mais la qualité n’est pas forcément au rendez-vous. 

 

Jan Tuerlinckx, partenaire-avocat de Tuerlinckx Tax Lawyers

E-mail: jan.tuerlinckx@tuerlinckx.eu

 

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